L’usage des exactions des Black blocs s’inscrit dans des jeux de rôles parallèles, mais prévisibles. La manifestation parisienne du 1er mai 2018 a donné lieu à des commentaires évidemment orientés selon le point de vue des différents acteurs politiques, sociaux mais aussi médiatiques. Chacun peut donc trouver l’explication qui lui sied, ce qui peut apparaître pratique mais se révèle intellectuellement insatisfaisant.
Sans surprise, le Gouvernement condamne et annonce que les responsables seront «punis». Il y a (au 2 mai au matin) 109 gardes à vues, ce qui constitue un nombre inédit, du moins depuis les années 1970. Il restera à savoir, compte tenu des éléments de preuve, le nombre de défèrements au parquet, puis la saisine de juges d’instruction et, enfin, le nombre de condamnations définitives.
Sans surprise, la droite dénonce les insuffisances du maintien de l’ordre et de la répression, omettant à la fois les évènements similaires auxquels elle avait été confrontée dans un passé parfois récent. Aurait-elle la nostalgie de la répression façon Papon (préfet de police de 1958 à 1967, période marquée par des répressions sanglantes des manifestations de 1961-1962¹? Les préfèrerait-elle à ce que fut le choix du préfet de police Maurice Grimaud² en mai 1968, grand commis de l’État s’il en fut.
Le dispositif était-il suffisant? À l’évidence, le ratio forces de police/Black blocs était proche de un sur un. Côté syndical, dans la gauche de gouvernement comme parfois à droite, le sujet a été abordé. On évoque l’idée d’une commission d’enquête. L’annonce est logique. Au-delà du coup de com, c’est l’exercice du contrôle parlementaire sur l’Exécutif… si la démarche va jusqu’à son terme (le Bureau de l’Assemblée nationale est majoritairement composé de partisans du Gouvernement). La sous-estimation du nombre de Black blocs a été avouée par le ministre de l’Intérieur qui s’en trouve du coup fragilisé.
À gauche et à l’extrême-gauche (une extrême gauche qui peine parfois à se désolidariser des «casseurs»), on a évoqué les provocations policières. C’est une vieille antienne à laquelle l’histoire a donné un fond de vérité. En 1979 encore, lors de la grande manifestation des sidérurgistes, la CGT avait mis au jour la présence d’un fonctionnaire de police en civil au cœur du cortège. Il avait conservé avec lui sa carte professionnelle, sans doute pour pouvoir se faire reconnaître de ses collègues au cas où. Or la manifestation, marquée par des affrontements violents, est restée entachée par des accusations d’utilisation gouvernementale d’agents provocateurs. Pour autant (jusqu’à plus ample informé), à la différence de 1979, on ne dispose pas, pour le 1er mai 1978, de témoignages attestant du franchissement des rangs policiers dans les deux sens par des «civils».
Jean-Luc Mélenchon avait donné le ton pour la France insoumise en dénonçant l’extrême droite. Il avait été suivi fidèlement par ses troupes et ne manquera pas de l’être à nouveau après avoir admis, sur l’antenne de Jean-Claude Bourdin, que son sentiment premier n’était pas le bon. Cela marque une réticence à considérer que la radicalité contre-productive puisse venir de son côté — même très distant — de l’axe traditionnel de classement politique.
Résumons : dans les postures, il n’y a aucune surprise. Restent évidemment des actions contre-productives qui ont fait disparaître les motifs de la mobilisation du jour derrière un rideau de fumée noire, tout en laissant pointer la nostalgie de l’état d’urgence et ses règles de «filtrage». En attendant que ne ressurgisse la proposition de réactiver cette loi anticasseurs que François Mitterrand et Robert Badinter firent abroger? Dans l’immédiat, les violences permettent surtout à l’Exécutif de ne pas parler d’autre chose.
Comme l’écrit Laurent Joffrin dans son édito de Libération (2/5/18):
Les actions plaquées, violentes et minoritaires, destinées à éveiller la conscience des masses, ont été rejetées au sein du mouvement ouvrier il y a plus d’un siècle. Appliquées aujourd’hui, elles ne servent qu’à justifier les actions de la police, à renforcer la droite et à gêner le mouvement syndical.
On ne saurait mieux dire.
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¹ Notamment le 17 octobre 1961 (Fédération de France du FLN) et le 8 février 1962 (manifestation contre l’OAS, dont la répression provoqua la mort de huit personnes au métro Charonne).
² «Frapper un manifestant tombé à terre c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière», écrivit notamment Maurice Grimaude dans sa célèbre lettre aux forces de police du 29 mai 1968.