Black blocs et jeux de rôles

L’usage des exactions des Black blocs s’inscrit dans des jeux de rôles parallèles, mais prévisibles. La manifestation parisienne du 1er mai 2018 a donné lieu à des commentaires évidemment orientés selon le point de vue des différents acteurs politiques, sociaux mais aussi médiatiques. Chacun peut donc trouver l’explication qui lui sied, ce qui peut apparaître pratique mais se révèle intellectuellement insatisfaisant.

Illustration Wikimedia Commons/«FFox» (CC-BY-SA-UN).

Sans surprise, le Gouvernement condamne et annonce que les responsables seront «punis». Il y a (au 2 mai au matin) 109 gardes à vues, ce qui constitue un nombre inédit, du moins depuis les années 1970. Il restera à savoir, compte tenu des éléments de preuve, le nombre de défèrements au parquet, puis la saisine de juges d’instruction et, enfin, le nombre de condamnations définitives.

Sans surprise, la droite dénonce les insuffisances du maintien de l’ordre et de la répression, omettant à la fois les évènements similaires auxquels elle avait été confrontée dans un passé parfois récent. Aurait-elle la nostalgie de la répression façon Papon (préfet de police de 1958 à 1967, période marquée par des répressions sanglantes des manifestations de 1961-1962¹? Les préfèrerait-elle à ce que fut le choix du préfet de police Maurice Grimaud² en mai 1968, grand commis de l’État s’il en fut.

Le dispositif était-il suffisant? À l’évidence, le ratio forces de police/Black blocs était proche de un sur un. Côté syndical, dans la gauche de gouvernement comme parfois à droite, le sujet a été abordé. On évoque l’idée d’une commission d’enquête. L’annonce est logique. Au-delà du coup de com, c’est l’exercice du contrôle parlementaire sur l’Exécutif… si la démarche va jusqu’à son terme (le Bureau de l’Assemblée nationale est majoritairement composé de partisans du Gouvernement). La sous-estimation du nombre de Black blocs a été avouée par le ministre de l’Intérieur qui s’en trouve du coup fragilisé.

À gauche et à l’extrême-gauche (une extrême gauche qui peine parfois à se désolidariser des «casseurs»), on a évoqué les provocations policières. C’est une vieille antienne à laquelle l’histoire a donné un fond de vérité. En 1979 encore, lors de la grande manifestation des sidérurgistes, la CGT avait mis au jour la présence d’un fonctionnaire de police en civil au cœur du cortège. Il avait conservé avec lui sa carte professionnelle, sans doute pour pouvoir se faire reconnaître de ses collègues au cas où. Or la manifestation, marquée par des affrontements violents, est restée entachée par des accusations d’utilisation gouvernementale d’agents provocateurs. Pour autant (jusqu’à plus ample informé), à la différence de 1979, on ne dispose pas, pour le 1er mai 1978, de témoignages attestant du franchissement des rangs policiers dans les deux sens par des «civils».

Jean-Luc Mélenchon avait donné le ton pour la France insoumise en dénonçant l’extrême droite. Il avait été suivi fidèlement par ses troupes et ne manquera pas de l’être à nouveau après avoir admis, sur l’antenne de Jean-Claude Bourdin, que son sentiment premier n’était pas le bon. Cela marque une réticence à considérer que la radicalité contre-productive puisse venir de son côté — même très distant — de l’axe traditionnel de classement politique.

Résumons : dans les postures, il n’y a aucune surprise. Restent évidemment des actions contre-productives qui ont fait disparaître les motifs de la mobilisation du jour derrière un rideau de fumée noire, tout en laissant pointer la nostalgie de l’état d’urgence et ses règles de «filtrage». En attendant que ne ressurgisse la proposition de réactiver cette loi anticasseurs que François Mitterrand et Robert Badinter firent abroger? Dans l’immédiat, les violences permettent surtout à l’Exécutif de ne pas parler d’autre chose.

Comme l’écrit Laurent Joffrin dans son édito de Libération (2/5/18):

Les actions plaquées, violentes et minoritaires, destinées à éveiller la conscience des masses, ont été rejetées au sein du mouvement ouvrier il y a plus d’un siècle. Appliquées aujourd’hui, elles ne servent qu’à justifier les actions de la police, à renforcer la droite et à gêner le mouvement syndical.

On ne saurait mieux dire.

.——o-:—   N O T E S   —:-o——.

¹ Notamment le 17 octobre 1961 (Fédération de France du FLN) et le 8 février 1962 (manifestation contre l’OAS, dont la répression provoqua la mort de huit personnes au métro Charonne).

² «Frapper un manifestant tombé à terre c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière», écrivit notamment Maurice Grimaude dans sa célèbre lettre aux forces de police du 29 mai 1968.

Parcoursup et loi ORE : le grand bal des hypocrites

C’est en février 2018 qu’ont commencé les manifestations contre Parcoursup, le nouveau système d’orientation des élèves de terminale dans l’enseignement supérieur. On y fit grand usage de ce mot si péjorativement connoté : sélection. Depuis, le mouvement a diffusé, de manière variable selon les établissements, dans les universités alors que, paradoxalement, les étudiants ont franchi, parfois depuis longtemps, ce cap et que, non moins paradoxalement, les lycéens, pourtant les premiers concernés, sont absents de la « lutte ».

L’argumentation n’est pas toujours rigoureuse. On a ainsi accusé la loi du 8 mars 2018, dite loi ORE (« orientation et réussite des étudiants »), de mettre en cause des règles locales de compensation de notes, alors qu’elle ne modifie le Code de l’éducation que sur les articles traitant des procédures d’accès à l’enseignement supérieur. Nous écarterons l’accumulation de revendications globalisantes qui ne relèvent que du choix des entrepreneurs de cause(s) qui y recourent. Pour notre part, nous en resterons ici au problème en cause : la procédure « Parcoursup », légalisée par la loi ORE, d’affectation des bacheliers dans l’Enseignement supérieur, en laissant de côté la mobilisation dans les universités, telle qu’on la constate ou se la représente.

Outre la menace en soi d’une sélection à l’entrée des universités, la critique du nouveau dispositif entend dénoncer une mesure qui, plus spécifiquement, pénaliserait contre les jeunes issus des classes populaires. Ce type de mobilisation émane aussi bien de ceux que le projet inquiète, à tort ou à raison, que de ceux qui font leur ce grand principe contestataire énoncé par Pierre Dac : « pour tout ce qui est contre ; contre tout ce qui est pour ».

Ce sera notre point d’entrée. Loin des oppositions aussi binaires que sommaires, nous évoquerons un dossier d’ensemble (ou un ensemble de dossiers) où, logiquement, la mise en place de Parcoursup et les débats sur l’évolution du baccalauréat sont liés. Il ne faut donc pas s’arrêter à l’apparence des discours et aux postures : au grand bal des hypocrites, il y a des masques de toutes les couleurs.

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au format PDF (1 Mo – cliquer ici).

Sommaire

  • Les étendards sont-ils des voiles ?
  • D’APB à Parcoursup
  • Bal costumé, bal masqué
  • Janus et le baccalauréat
  • Comment penser la continuité lycée-université ?
  • Baccalauréat : un même mot pour des réalités sociohistoriques très différentes
  • À quelles conditions faire tomber les masques pour que dansent à leur tour les bacheliers?
Bal masqué à Venise(Wikimedia Commons/« Wanblee », CC-BY-SA).

Bal masqué à Venise
(Wikimedia Commons/« Wanblee », CC-BY-SA).

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Les nouveaux godillots de Richard Ferrand

Controversée, la loi «Asile et Immigration» que promeut Gérard Collomb devrait rencontrer quelques oppositions au sein du groupe LREM. Mais ceux qui iraient jusqu’à voter «contre» pourraient être sanctionnés par une exclusion du groupe. C’est ce qu’a laissé entendre son président, Richard Ferrand. Jean-Michel Clément, ancien député socialiste de Vendée (2007-2017), rééelu en 2017 sous l’étiquette LREM, pourrait en faire les frais. Voilà pourquoi ce serait une erreur politique. (Mise à jour du 24/04/2018 en fin d’article.)

Jean-Michel CLÉMENT en 2017(Wikimedia Commons/«G. Garitan», CC-BY-SA).

Jean-Michel CLÉMENT en 2017
(Wikimedia Commons/«G. Garitan», CC-BY-SA).

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Pour Olivier Faure, un espace vraiment dégagé ?

Arrivé largement en tête lors du scrutin interne du Parti socialiste, Olivier Faure sera le seul candidat au second tour après le retrait du second, Stéphane Le Foll. Le paysage socialiste semble donc dégagé pour Olivier Faure. Mais quel espace réel sera celui du futur dirigeant du Parti socialiste?

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2018-0308-(L-Bentz)-Olivier_faure_espace
(PDF, 5 pages, 231 kb).

Olivier Faure en 2012 (Wikipedia Commons/Olivier Faure CC-BY-SA)

Olivier Faure en 2012 (Wikipedia Commons/Olivier Faure CC-BY-SA)

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Quand la médecine sociale sous ordonnances du docteur Macron tourne au problème politique

La volonté d’étendre le champ du pouvoir à la totalité de la sphère sociale est un risque politique pour l’exécutif. Si la « réforme » de la SNCF est sous les feux de l’actualité, les injonctions faites aux partenaires sociaux, patronat compris, atteignent un point inégalé.
Alors que les partenaires sociaux ont négocié deux accords interprofessionnels sur la formation professionnelle et l’assurance chômage, le Gouvernement menace d’un big bang législatif si les résultats ne lui paraissent pas suffisants. Plus qu’un conflit classique entre acteurs du champ politique et du champ social, c’est le signe d’une volonté d’imposition par le politique de son propre agenda qui pourrait avoir des conséquences imprévues pour le pouvoir exécutif.

Télécharger l’article au format PDF (10 pages, 1,6 Mo):
2018-0226-negos_sous_ordonnance

(Sources : Wikimedia Commons, Pixabay. Montage personnel.)

(Sources : Wikimedia Commons, Pixabay. Montage personnel.)

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Pourquoi Laurent Wauquiez se f… des commentaires

Laurent Wauquiez a parlé devant les étudiants de l’école de management de Lyon. Peu lui importe la manière dont ses propos ont été transmis à la presse, peu lui importent les supputations des commentateurs, et moins encore les jugements dont il fait l’objet. Peu lui importe sans doute la teneur même de ses propos. Voilà pourquoi… et pourquoi les indignations morales ne servent à rien, quelles qu’elles soient.

Laurent Wauquiez en 2013.(Crédit photo: Wikimedia Commons/«alesclar», CC-BY-SA 3.0)

Laurent Wauquiez en 2013.
(Crédit photo: Wikimedia Commons/«alesclar», CC-BY-SA 3.0)

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Ce que cache le retour du service national : inégalités et présidentialisme

(Complété le 16/2/2018) — Le service national (militaire) à l’ancienne s’est éteint en 2002 après une transition de cinq ans (la décision de mettre fin à la conscription avait été prise par Jacques Chirac). Le débat sur le rétablissement d’une forme — essentiellement civile — de  service national a été évoqué par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. Le débat a repris de manière chaotique.

Le chef de l’État vient pourtant de trancher. Il y aura un service national de trois à six mois. Quand le service militaire à l’ancienne a disparu, il était déjà plombé par les inégalités. Il est à craindre que, au-delà du discours universaliste, il n’en soit pas de même pour le service national «nouveau». Au-delà, on peut s’interroger sur le poids d’«engagements» de campagne qui paraissent indifférenciés.

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[P]onction [f]ublique: la vision étriquée du gouvernement

C’est avec une joie non dissimulée que Le Figaro tirait à la une (2/2/18): «Fonctionnaires: le projet sans tabou du gouvernement». Plan de départs volontaires, réforme du statut général pour plus de recours aux contractuels et, naturellement, rémunération au mérite. Mais, en république, il peut être nécessaire de s’interroger sur le règne des idées toutes faites… en rappelant quelques principes qui semblent malheureusement oubliés.

(Montage d'après Wikimedia Commons licence CC-BY-SA.)

(Montage d’après Wikimedia Commons licence CC-BY-SA.)

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Désirs d’avenir à la tête du PS : un long chemin

Ainsi, nanti pour l’instant d’une direction provisoire, le Parti socialiste connaîtra fin janvier les prétendant·e·s possible à son Premier secrétariat. Si Najat Vallaud-Belkacem a renoncé «malgré les pressions de ses amis», Julien Dray se disait «intéressé» sous réserve de voir «si on peut construire une équipe, une collégialité, une envie». Stéphane Le Foll vient de se déclarer candidat. Ils ne sont pas les seuls. En dehors de la carte de visite, incarner la direction du PS, pourquoi pas ? Mais pour quoi faire?

[Version revue et complétée le 9/1/18 à 22:58]

Stéphane Le Foll en 2014.(Crédit photo: WikimediaCommons/«StagiaireMGIMO», lic. CC-BY-SA 4.0.)

Stéphane Le Foll en 2014.
(Crédit photo: WikimediaCommons/«StagiaireMGIMO», lic. CC-BY-SA 4.0.)

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